Les déportés de Hénon dans les camps de concentration

Jérôme le Borgne

Cette invention diabolique des nazis lors de la dernière guerre mondiale a été créée dans le but d'exterminer le maximum de gens en un minimum de temps. Etaient principalement visés les juifs, les tziganes mais aussi les communistes et certains résistants.

Quand les bruits ont commencé à circuler sur l'existence de ces camps, personne ne voulait y croire ? L'exemple de ce détenu ayant profité d'une corvée à l'extérieur du camp d'Auschwitz pour s'enfuir, et qui rentra en contact avec un réseau de résistance, afin d'alerter les autorités de l'époque sur ce qui se passait dans les « camps » est assez éloquent... Son incroyable témoignage le fit tout simplement passer pour un fou menteur ! Simone Weil, qui a été elle aussi déportée, déclarait ainsi quant à la crainte de ne pas être crue : « nous avons vécu l'indicible? Notre obsession était qu'on ne nous prenne pas pour des affabulatrices si on n'en réchappait? ». Le défunt leader cégétiste, Henri Krasuki, ami de Madame Weil, déporté à l'âge de 18 ans tenait d'ailleurs les mêmes propos?

Jérôme Le Borgne, né le 21 novembre 1896 à l'Elbrun en Hénon,fut mobilisé en 1915 à l'âge de 19 ans, victime des gaz toxiques, il fut démobilisé en 1919 avec le grade de lieutenant. Comme beaucoup de jeunes hommes de l'époque, il parti chercher du travail hors de Bretagne et atterrit en Picardie, puis dans la Somme où il se maria à Moislains (80). Instituteur, puis directeur de l'école communale, il fut à nouveau mobilisé en septembre 1938, remobilisé en septembre 1939 et fait prisonnier le 22 juin 1940 puis libéré comme ancien combattant en août 1941. Engagé dans les FFCI en mars 1942, il est arrêté le 1er juin 1944 pour faits de résistance, entre autres pour avoir caché des aviateurs américains? Interrogé et incarcéré, il est transféré à Compiègne le 15 juillet 1944. Il est intégré à un convoi de 1 528 hommes entassés dans des wagons à bestiaux (100 par wagon) direction le camp de concentration de Neuengamme en Allemagne. L'accueil fut terrible. Arrivés de nuit, les prisonniers sont éblouis par les projecteurs, et sont sous les coups des SS qui hurlent des ordres incompréhensibles en allemand. Le lendemain, ils étaient immatriculés? Jérôme Le Borgne reçu le matricule 37 312. Il fut envoyé par la suite à Osterot (un camp annexe exploitant plus de 800 déportés au profit des entreprise Krupp).

Devant l'avancée des troupes alliées, les SS décidèrent l'évacuation d'une partie des déportés de ce camp (le 6 avril 1945) vers Landbostel, camp mouroir dépendant de Neuengamme. Après le départ des SS, et malgré l'aide apportée par les PG(Prisonniers de Guerre), 2 700 cadavres non identifiés furent dénombrés le 29 avril 1945 à l'arrivée des soldats britanniques. Jean Morin de Saint-Carreuc, centenaire décédé l'an dernier, comme prisonnier de guerre a porté de la nourriture à Jérôme Le Borgne après le départ des SS, mais épuisé et malade il décéda avant son rapatriement le 9 mai 1945 à l'âge de 49 ans. Tous les décédés après la libération du camp ont eu leur corps rendu à leur famille. Jérôme Le Borgne est enterré à Moislains ou une rue porte son nom. Il a eu deux enfants : Suzanne, ancienne professeur d'anglais, et Yves, ingénieur chimiste décédé en 2009.

Victor Andrieux

Dans cette seconde chronique consacrée aux hénonnais déportés lors de la seconde guerre mondiale, je vais vous présenter le calvaire de Victor Andrieux (oncle de la famille Andrieux résidant au lieudit « la Teurtrée » aujourd'hui). Victor Andrieux est né le 19 juin 1898 à Cariza en Hénon. D'après son acte de naissance, il s'est marié le 28 septembre 1922 avec Reine Tirlet à Paris (19ème). Membre de la Section française de l'Internationale ouvrière (SFIO), il fut pourtant arrêté en tant que « communiste » * une première fois le 19 octobre 1941 à Paris par l'armée allemande (il fut interné à Compiègne jusqu'au 30 mars 1942), puis une seconde fois le 13 juin 1943, par l'armée allemande à nouveau, qui le transféra une seconde fois à Compiègne le 25 juin?

Victor Andrieux fut alors intégré à un convoi, constitué de wagons à bestiaux, où 999 hommes étaient entassés à raison d'une centaine par wagon à destination de Weimar en Allemagne (ce fut d'ailleurs le premier convoi important parti de Compiègne et parvenu directement au camp de Buchenwald). Dans ce convoi, il y avait 860 français et 139 « étrangers », le convoi fut notamment marqué par 34 évasions à Chalons/Marne? Arrivés le 27 juin 1943 à Weimar, les « déportés » firent le trajet entre la gare et le camp de Buchenwald à pieds. Victor Andrieux reçu le matricule 14 574. Il y fut emprisonné plusieurs mois avant d'être transféré le 7 janvier 1944 au camp de Dora (camp annexe de Buchenwald distant de 80 Km).

* Pour la milice ou la gestapo, toute personne ayant une attitude antinazie était désignée comme terroriste ou comme communiste. Accusés par le régime de Vichy, avec les Franc-Maçons et les juifs, d'être coupables de la défaite, les communistes de l'époque étaient pourchassés et arrêtés? Et pour nombre d'entre eux déportés. La lutte qu'ils menèrent durant l'occupation fut notamment reconnue par le Général de Gaulle en leur offrant de nombreux postes au sein du Gouvernement Provisoire de la République Française (GPRF)

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Ouvert à la fin du mois d'août 1943 à la suite des bombardements du centre de recherche des fusées V2 (fusées très puissantes de 350 Km de portée lancées sur l'Angleterre à partir de septembre 1944), ce camp souterrain situé à Kohnstein au sud du Harz, avait pour mission l'assemblage desdites fusées? Les déportés y étaient exploités dans des conditions inimaginables? ils étaient ainsi enfermés jour et nuit dans les tunnels, et, à cause d'atroces conditions de vie et de travail, mouraient pour nombre d'entre eux au bout seulement de quelques semaines ! Devant l'avancée des troupes alliées, les SS décidèrent l'évacuation du camp de Dora devenu autonome depuis octobre 1944. Les évacuations vers Bergen-Belsen commencèrent dans des conditions dantesques? Les déportés qui rallièrent le camp de Bergen-Belsen à pieds et qui ne pouvaient plus suivre le rythme étaient abattus par les SS, d'autres furent entassés dans des wagons à « ciel ouvert »? Le camp de Bergen-Belsen était l'apologie de la honte ! Les déportés, dont Victor Andrieux, étaient livrés à eux-mêmes, sans nourriture et sans eau? Ils devenaient de véritables « cadavres ambulants » se déplaçant tels des fantômes? Des milliers de corps sans vie jonchèrent rapidement ce sol.

Les troupes anglaises libérèrent le camp le 15 avril 1945 ; malgré les soins qui lui furent prodigué, Victor Andrieux décéda le 22 avril à l'âge de 47 ans sans avoir pu revoir sa famille et son pays. Sur les 999 malheureux formant le convoi au départ de Compiègne, 387 étaient morts ou portés disparus.

Pierre Le Hérissé

Pierre, Marie, Antoine Le Hérissé est né le 22 mai 1922 au Pont Joret à Hénon. Célibataire et agriculteur comme tous les gars de sa classe, il est réquisitionné par le gouvernement de Vichy (sur demandes des autorités allemandes) pour aller travailler en Allemagne au sein du STO (Service du Travail Obligatoire) afin de remplacer les soldats allemands partis sur le front. Les Français qui refusaient d'intégrer le STO entraient dans la clandestinité et étaient contraints de vivre sous une fausse identité afin de ne pas être arrêté par la gendarmerie? Pierre Le Hérissé rejoint quant à lui le STO par peur de représailles contre sa famille.

Les hommes partis dans le cadre du STO étaient des travailleurs qui ne faisaient pas la guerre, ils devaient être considérés (alimentation et soins) comme n'importe quel citoyen en ces temps difficiles? Si Pierre Le Hérissé a été envoyé dans un camp de concentration, c'est, à n'en pas douter, pour des faits d'opposition à l'Allemagne nazie (refus de travailler pour l'ennemi ? Sabotage des pièces dans une usine où il travaillait ?...). La gestapo l'arrêta donc pour son attitude antinazie et il fut interné le 2 septembre 1944 au camp de sinistre réputation qu'était Dachau (libéré par les américains le 29 avril 1945). Pierre Le Hérissé décéda dans ce camp dans l'anonymat le plus complet, la date de son décès n'étant pas connue? L'on devine hélas ce qui a été fait de sa dépouille dans ce sinistre camp. Une demande de jugement déclaratif de décès a été effectuée par Pierre Klein (1) le 23 avril 2010.

Trois autres enfants de Hénon , tous habitant le même secteur, partirent travailler au titre du STO et moururent en Allemagne sous les bombardements par les alliés des usines où ils travaillaient? Il s'agissait d'Ange Gallais, du Clos des Aulnes, de Marcel Français (né à Plémy), dont les parents étaient venus prendre la ferme de la Petite Haute Ville et de Pierre Georgelin (venant de Plouguenast pour habiter au Pont Rado).

Ainsi, sur environ 1 100 personnes des Côtes du Nord qui ont été déportées 530 sont décédées dans les camps, dont 130 femmes et plusieurs enfants principalement issus de familles juives. Pour la seule ville de Saint-Brieuc, 144 personnes furent déportées dont beaucoup, d'origine juive, étaient acteurs de la vie économique (professions libérales et commerçants). Les communes bordant Hénon ont toutes elles aussi connues la perte de certains des leurs dans les camps : trois à Moncontour, deux pour Plémy et deux pour Quessoy.