Les notes météo d'un recteur (1768-1788)
« De la Villéon, Rr de Hénon » ; une signature que l’on voit apparaître en 1753 dans les registres paroissiaux jusqu’en 1792. René de La Villéon aura été recteur de Hénon pendant près de 40 ans. Aidé par deux ou trois curés (vicaires), il nous a laissé des registres bien écrits et détaillés, avec beaucoup de noms de villages et de professions. Et de surplus, il a cru bon, pour certaines années, de récapituler la météo en fin de registre en commençant par l’année 1768. « Année extrêmement pluvieuse. Depuis la fin mai jusqu’au mois de décembre, pluie continuelle, spécialement aoust 7 bre et 8 bre (août, septembre, octobre). Peine infinie à ramasser les récoltes et les fourrages. Il a fallu battre dans les granges et les maisons. Difficultés à ensemencer. A la mi-janvier 1769, tous les bleds (blés) pas encore battus ».
La disette, la grande misère
Après ce tableau de désolation, il ajoute ceci pour 1769 : « La récolte suivante de 1769 mauvaise. Sur tout le cours de Clineuf il n’y avait guère que les semences. Le froment à Noël valait 30 L (livres) la perrée de Moncontour ». Voilà donc deux mauvaises années consécutives. Alors en 1770, c’est la cherté, la disette, la grande misère. Ce sont les mots du recteur. Des bleds venus de l’étranger n’ont pas fait baisser les prix ; le seigle du « païs » à 36 L la perrée, le bled de 42 à 45 L… Il faut nourrir les pauvres avec de la soupe de graisse et en outre du pain une fois par semaine. Inévitablement, cela influe sur la vie des gens. A titre d’exemple, on compte encore 27 mariages en 1769 et seulement 9 en 1770. Pour les décès, c’est irrégulier mais on en compte 149 en 1773, deux fois plus que la moyenne.
Six années de météo déréglée
Nouveaux problèmes en 1771. « L’été de cette année a été extrêmement sec. Les blés noirs n’ont point levé. Il n’y en a presque pas eus à la récolte ». Et après, c’est le seigle qui s’en mêle ; il est atteint par la maladie de l’ergot. On mélange ce seigle avec du blé pour faire du pain mais ce pain a un goût amer. Il rend « malade, endormi, hébété ». Alors il faut recourir à l’avoine. Par la suite, ça s’améliore peu. Les notes à la fin de 1774 sont brèves mais toujours alarmantes : « récoltes très mauvaises suite à l’abondance des pluies depuis octobre 1773 jusqu’au mois de juillet 1774 ». Voilà en résumé six années de météo déréglée. Après c’est sans doute revenu à la normale. Le recteur ne signale rien pendant quelques années. Pour 1782, il note quand même ceci : « Bleds aussi chers qu’en 1770. Cette cherté venue par le peu de blé noir en 1781. Néanmoins, les bleds n’ont pas manqué ».
Une catastrophe d’un nouveau genre
A partir de 1785, c’est le retour à la désolation : « Année de sécheresse, toutes les récoltes ont manqué ». Cette ligne percutante est écrite deux fois, à la fin du registre des baptêmes et à la fin de celui des sépultures. Le recteur voulait que ça reste pour la postérité. Cette sécheresse se répercute sur 1786, « année de misère et de disette ». Sans importation, le blé aurait manqué, le lin également. Le gouvernement a fourni du blé moins cher que celui des négociants et a fait distribuer 25 600 L de pain. Une catastrophe d’un genre nouveau survient peu avant Noël 1787 : « Désastre le 23 décembre sur les pommiers par la neige qui se glaçant forma un tel poids aux branches des arbres qu’il en déracina une partie, rompit ou éclia une autre partie, hacha les cimes du reste. 4 000 pommiers ainsi maltraités. Le cours du Roncelay très peu endommagé. » Et en 1788, la série continue : « Coup d’hiver plus fort, depuis la mi-novembre jusqu’à la mi-décembre, qu’en 1740-1741. Vu la force des glasses (sic) on ne pouvait plus moudre. On a fait rouler à bras les moulins. Faim en a suivi ».
Ainsi se terminent ces notes précieuses écrites par un recteur attentif à la vie de ses paroissiens. Elles nous apportent un nouvel éclairage sur un passé déjà lointain. A chacun ses commentaires ou ses réflexions.