La Maladrie
Maladrie ou Maladrerie, Corderie ou Caquinerie, autant de noms de lieux qui évoquent des villages réservés aux descendants des lépreux. La Maladrie en Hénon était effectivement une Corderie ; ses habitants exerçaient tous le métier de cordier qui leur était assigné. Mais, en tant que descendants de lépreux, ils avaient leur cimetière à proximité. Hénon avait aussi sa petite Caquinerie au faubourg de la Vallée, près de la chapelle de la Madeleine. Tout cela remonte au Moyen-Âge. Pour le XVIe siècle, ça commence à se préciser ; on lit dans un document de 1553 : « chemin de Froitabrit à la Maladrie » et « ruisseau qui descend du Moulin de Robinot au Moulin de la Maladrie ».
Mais c’est au XVIIe siècle, avec les premiers registres de sépultures, que nous saisissons le mieux ce qu’était la Maladrie. Ainsi en 1638 : « Jean Denis, cordier, décédé le 1er jour d’avril, inhumé au lieu où ont été accoustumés d’être inhumés ses ancestres, près de leur village ». Cette tournure en vieux français indique bien que le cimetière de la Maladrie a déjà connu plusieurs générations de cordiers. La même tournure va se répéter jusque 1700 environ, avec d’autres familles, des Ballusson, des Corlay, des Tastivint, des Touénon, tous cordiers ou cordières. Un acte de sépulture de 1648 précise encore mieux la coutume : « Le 22e jour de mars, Jeanne Corlay, cordière, décéda, et le lendemain son corps fut inhumé au lieu où ses ancestres avaient accoustumé d’être ensépulturés, jouste auprès de leur maison ». On imagine que le cimetière des cordiers occupait tout simplement un coin de la cour ou un bout de jardin.
1851, finis les caquins puis les cordiers
Ces cordiers travaillaient le chanvre, qu’ils devaient mettre à rouir dans la rivière, près du moulin. Ils cordaient les fibres à la main ou peut-être avec des instruments rudimentaires. Quelques-uns ont vécu vieux : en 1669, décès de Marguerite Denis, cordière, 70 ans ; en 1688, décès de Guillemette Touénon, cordière, 80 ans. Mais il y a aussi des décès d’enfants. Un acte de 1689 nous ramène à la Caquinerie : « Décès de M. Plétan, cordier, demeurant à la Vallée, en Hénon, enterré au village de la Maladrie ». Cet acte nous indique bien qu’il y avait un lien entre la Caquinerie de la Vallée et la Maladrie. Puis en 1701, le cimetière des cordiers de la Maladrie est abandonné, du moins à la lecture de l’acte suivant : « Décès de René Denis, cordier, 70 ans, de la Maladrie, inhumé au cimetière de Hénon ».
Mais l’histoire des cordiers ne s’arrête pas là. En 1702, une nouvelle famille s’établit à Hénon suite à une alliance peu banale : « 1702, mariage de Mathurin Rouleau, cordier, de la paroisse de Mohon, évêché de Saint-Malo, et Marguerite Denis, aussi cordière, de Hénon. Dispense de consanguinité accordée par le pape et les évêques de Saint-Malo et Saint-Brieuc ». Cette parenté entre un mari de Mohon et une épouse de Hénon peut surprendre mais on se mariait seulement entre cordiers et même à distance on finissait par être apparenté. La fille de ce jeune couple, Françoise Rouleau, va épouser Yves Denis, de Hillion, aussi cordier. Plusieurs générations de Rouleau vont perpétuer le métier de cordier, au moins jusqu’en 1861, année où Joseph Rouleau, cordier, est recensé avec sa famille à la Maladrie. Quand à la Caquinerie, elle est citée sous ce nom dans le recensement de 1851, après la Vallée, avec pour habitants un aubergiste et un sabotier. Finis les caquins. Puis les cordiers vont disparaître à leur tour. Seul le village de la Maladrie a conservé son nom pour rappeler toute cette histoire.